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Entretien avec Bernard Arkas, consul honoraire de France à Izmir

  • Photo du rédacteur: Admin LCF
    Admin LCF
  • il y a 6 jours
  • 5 min de lecture

Pourriez-vous retracer l’origine du lien singulier que vous et votre famille entretenez avec la France ?

 

Le lien entre ma famille et la France remonte à plusieurs siècles. Je suis l’arrière-petit-fils d’une famille française venue de Marseille à Izmir dans les années 1750. Mon arrière-grand-père, Gabriel J.B. Arcas, a fondé à Izmir en 1902 – à une époque où la ville était la porte de l’Empire ottoman vers l’Europe – les bases d’une tradition de commerce maritime. Mon grand-père, Lucien Gabriel Arcas, a poursuivi cet héritage en créant sa propre agence maritime en 1944.

Mon père, Lucien Arkas, est né à Izmir en 1945. Il a repris les rênes de l’entreprise familiale en 1964 en tant que représentant de la troisième génération. Depuis, il a non seulement renforcé la position de la Turquie dans le transport international, mais aussi maintenu vivants nos liens historiques et culturels avec l’Europe, et en particulier avec la France. Élevé dans la culture française, il est resté profondément attaché à ses racines izmiriennes.

 

Cette identité multiculturelle, pour nous, n’est pas seulement une appartenance, mais une manière de voir le monde. Si aujourd’hui Arkas Holding regroupe 61 sociétés, est présente dans 27 pays, emploie plus de 8300 personnes et opère dans les domaines du transport maritime, terrestre, ferroviaire et aérien, c’est en grande partie grâce à cet héritage franco-turc, à cette vision et à cet esprit d’entreprendre transmis de génération en génération.

Ce lien avec la France est pour nous bien plus qu’un héritage : c’est aussi une responsabilité. Avancer en respectant le passé, tout en s’adaptant aux exigences du présent, c’est ce que nous avons toujours choisi.

 

Comment votre binationalité s’exprime-t-elle dans votre vie quotidienne, tant sur le plan personnel que professionnel ?

 

Pour moi, la double nationalité n’est pas simplement un statut juridique, mais une responsabilité : celle d’être un pont entre deux cultures. J’ai grandi avec une identité à la fois turque et française, ce qui m’a naturellement amené à adopter une vision plus large du monde. L’héritage culturel que je tiens de mes racines françaises s’est mêlé à la sensibilité locale que m’a apportée mon enfance à Izmir.

 

Ces deux identités coexistent harmonieusement dans ma vie quotidienne, et se reflètent aussi dans notre manière de faire des affaires. La structure internationale d’Arkas est une expression directe de cette approche multiculturelle. Grâce à ma binationalité, j’ai la capacité de représenter la Turquie à l’étranger de manière nuancée, tout en suivant de près les évolutions en Europe.

Être dans une position qui relie deux pays implique parfois une certaine finesse. Mais j’ai toujours vu ces nuances comme une opportunité : celle de favoriser la compréhension interculturelle, de construire des passerelles et de promouvoir la coopération.


Vous exercez la fonction de consul honoraire à Izmir depuis 2023 : avec le recul, quels enseignements tirez-vous de ces deux années d’engagement ?

 

Durant ces deux dernières années, la fonction de Consul Honoraire m’a permis de mieux comprendre les besoins concrets de la communauté française de la région d’Izmir. Le dynamisme de cette communauté qui me donne la force à être toujours présent. J’ai pris connaissance à gérer des situations humaines parfois délicates et à collaborer avec les autorités locales. Une collaboration très étroite évidemment avec l’Ambassade de France à Ankara et le Consulat Général de France à Istanbul qui me pousse à prendre beaucoup de plaisir mais aussi de grande responsabilité. Cette responsabilité de représenter la France m’enrichi tant sur le plan humain que professionnel.


Quel regard portez-vous sur l’évolution des relations franco-turques à l’échelle locale, ici à Izmir ?

 

Au cours des dernières années, nous avons observé un approfondissement et une diversification significative des relations franco-turques à Izmir. Outre les domaines classiques de la culture, de l’enseignement et du développement durable, la technologie et l’entrepreneuriat sont venus enrichir cette coopération locale.

L’exemple le plus marquant est sans doute la contribution de l’Agence Française de Développement (AFD) au projet du métro de Buca, avec un financement à long terme de 125 millions d’euros sans garantie souveraine. C’est un signal clair de l’intérêt stratégique que porte la France à notre ville.

 

Par ailleurs, des collaborations culturelles telles que les expositions d’artistes français au Centre d’Art Arkas et les projets menés avec les établissements scolaires francophones renforcent les liens durables entre nos sociétés civiles.

Mais ce qui me semble particulièrement porteur d’avenir, c’est l’initiative organisée l’an dernier par l’Université Yaşar et La French Tech Istanbul, intitulée « Passerelle entrepreneuriale Turquie–France ». Cet événement, axé sur l’intelligence artificielle, l’agriculture intelligente et l’énergie durable, a permis de créer des ponts concrets entre les écosystèmes start-up des deux pays. Le programme « Start in Izmir » soutenu par l’Agence de Développement d’Izmir s’est inscrit dans la même dynamique.

En résumé, Izmir s’affirme aujourd’hui comme bien plus qu’un pôle logistique historique. C’est une ville en mouvement, où la culture, l’innovation et l’entrepreneuriat donnent toute sa profondeur à la relation franco-turque.

 

Quels sont, selon vous, les leviers les plus prometteurs pour renforcer la coopération culturelle ou économique entre nos deux pays ?

 

À mes yeux, les domaines les plus porteurs pour renforcer la coopération entre la France et la Turquie sont ceux liés à la durabilité multidimensionnelle et à l’entrepreneuriat technologique. Des secteurs comme la logistique écoresponsable, l’agriculture intelligente, les énergies renouvelables ou encore l’innovation numérique s’inscrivent parfaitement dans les priorités globales de la France et dans la vision de développement de la Turquie.

La combinaison entre la forte capacité de recherche française et la jeunesse entreprenante turque génère une synergie remarquable. Les événements liés aux start-ups organisés à Izmir ces derniers mois en sont une belle illustration. Ces initiatives rassemblent non seulement le monde économique, mais aussi les universités, les milieux artistiques et les acteurs publics, créant ainsi un écosystème riche et cohérent.

Par ailleurs, je crois beaucoup au potentiel que représente la nouvelle génération ayant étudié en France. L’événement France Alumni Day, organisé le 29 mai 2025 à l’Institut Français d’Izmir, en présence de la Consule générale de France, en est un exemple significatif. Ce type de rencontre permet de fédérer les anciens étudiants autour de projets communs, d’encourager les échanges professionnels, et de construire des passerelles entre la formation française et les besoins du marché local. Cela offre une opportunité précieuse pour renforcer les coopérations dans des domaines innovants tels que la technologie, le développement durable et les industries culturelles.

À mon sens, la réussite ne repose plus uniquement sur de grands investissements ou projets d’envergure, mais sur la capacité à créer de la confiance, de la curiosité mutuelle et l’envie de construire ensemble. C’est en s’appuyant sur ces leviers que la relation franco-turque continuera à se renforcer.


Qu’aimeriez-vous accomplir dans les années à venir à travers vos fonctions ou vos engagements personnels ?

 

Grâce à ma double expérience – en tant que consul honoraire et acteur du secteur privé – je souhaite construire des liens durables entre la France et la Turquie, fondés sur l’échange, la confiance mutuelle et l’inspiration des jeunes générations. La diplomatie, aujourd’hui, ne se joue plus seulement entre États : elle prend tout son sens entre les villes, les universités, les institutions culturelles et les entrepreneurs. Dans ces domaines, je me considère avant tout comme un facilitateur.

À court terme, je souhaite créer une synergie entre les jeunes diplômés ayant étudié en France et les nouvelles générations en Turquie. À long terme, mon ambition est d’aller au-delà des événements ponctuels et de bâtir des projets concrets. Je suis particulièrement attaché aux thématiques telles que le développement durable, la préservation du patrimoine culturel et la transformation numérique, qui sont pour moi des terrains fertiles pour une coopération active.

Par ailleurs, je suis convaincu que l’identité multiculturelle d’Izmir ne doit pas être vue uniquement comme une nostalgie du passé, mais comme une ressource précieuse pour nos relations actuelles. Je continuerai à œuvrer pour valoriser le potentiel de cette ville, à la fois en France et en Turquie.


L'équipe du Cercle français

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